Publikation // Le Temps, En robe de cuivre, au bord de l'Aar



En passant par la Lorraine, découvrir la villa Faraday, de Thomas Jomini, un exemple de maison économique, expérimentale, joyeusement originale.

Elle pourrait être sortie des mains d'un enfant, tant elle fait maison, cette villa Faraday. Une maison de jeu de plots, posée dans un environnement de verdure, à quelques mètres de la pente vertigineuse qui dévale jusqu'au lit de l'Aar. Autour, des pavillons espacés quelque peu délabrés; derrière, une colline abrupte où le plus urbain des bergers élève ses chèvres avec la bienveillance de la ville de Berne. Qui dirait que ce coin bucolique du quartier de la Lorraine se trouve à moins de quinze minutes de la gare? La Lorraine: un joli nom pour un quartier chaleureux et bigarré, où vivent passablement d'étrangers, des personnes à faibles revenus, des alternatifs, des artistes. Une population remuante, un quartier qui bouge, le lieu idéal pour rêver d'une maison près de la rivière. D'une maison alternative, aussi.

Ce secteur de Berne, l'architecte Thomas Jomini, 39 ans, le connaît bien. Comme partenaire du collectif Werkgruppe, il a participé, voici cinq ans, à la construction de l'ensemble de logements Vordere Lorraine. Puis, sur une parcelle contiguë, il a réalisé un bloc de quatre habitations-ateliers pour artistes. L'idée de la villa Faraday, présentée par voie d'annonce dans le Bund, a intéressé un client. Ayant repéré un terrain en surplomb de la rivière en attente de statut et de projet depuis très longtemps, l'architecte se fait l'intermédiaire entre ce dernier et la ville de Berne. L'affaire conclue, autorisé à construire selon le volume de la vieille maison préexistante, il peut enfin matérialiser, sans grandes modifications, ce qui n'était encore qu'une silhouette.

La villa, achevée en 2004, se distingue d'abord par la belle couleur cuivrée de sa robe. Il ne s'agit pas d'une image. L'architecte a bel et bien choisi de la recouvrir entièrement de ce métal, depuis le toit pentu et pointu jusqu'au ras du sol. «J'ai appliqué le concept du pull-over», explique-t-il. Un pull-over à côtes, très bien coupé puisque les tôles de cuivre, spécialement produites en Italie, sont ondulées. Et qui protège le bâtiment contre les champs magnétiques, d'où le nom de la maison, inspiré par la célèbre cage du physicien Faraday. Surtout, sous ce revêtement se dissimule tout le dispositif qui a valu à ce bâtiment de quatre étages le label Minergie: un système d'isolation thermique et de ventilation qui, en parallèle au chauffage par pompe et à chaleur géothermique, permet des économies d'énergie considérables.

«Attention, précise l'architecte, ce standard est une résultante et non une finalité. C'est d'abord la volonté de faire une belle maison avec un toit et des façades du même matériau, façon de plastifier l'objet pour le traiter comme une sculpture, qui a orienté la conception.» De fait, si le bâtiment, latéralement flanqué d'un garage rudimentaire enveloppé de polycarbonate bleuté, a été fabriqué d'une manière obsessionnellement économique, chaque détail a été pensé pour sa beauté. Une beauté quelque peu «brutaliste», concède-t-il en riant, et non moins puissante. Les finitions sont travaillées mais non léchées. Les matériaux utilisés dehors comme dedans - béton brut, verres colorés en bleu, vert, orange, bois aggloméré à larges copeaux - y gagnent d'autant plus de présence.

Les volumes de la villa paraissent familiers; en vérité les fenêtres, qui vont par paires, présentent des proportions inhabituellement généreuses, et chacun des deux appartements en duplex dispose d'une baie vitrée immense. Chacun possède aussi une salle de séjour de dimensions respectables, qui inclut la cuisine. L'une donne sur le jardin, l'autre est aménagée sous le toit, ce qui, en l'absence de faux plafond, lui confère un volume peu commun. Détail sans prix, une plate-forme rétractable fixée à la charpente face à la vue permet de loger des amis ou de s'isoler tout en haut. Aux agréments de la maison, ajoutez l'estrade-pergola en bois où se déroulent les belles soirées d'été, le jardin où l'on organise les fêtes, ainsi que l'escalier privé et le chemin abrupt qui permettent de s'en aller plonger dans l'Aar plusieurs dizaines de mètres plus bas, tout en restant chez soi.

«J'ai mis longtemps à comprendre que l'architecture relève aussi de l'identité visuelle. On communique par l'habit, la voiture, et aussi par la maison», observe Thomas Jomini. La villa Faraday abrite donc les habitants qu'elle mérite. Au nombre de cinq - trois dans l'appartement du bas, deux dans celui du haut - dont le propriétaire des lieux, ils sont âgés de 30 à 40 ans, exercent des professions libérales et forment une «WG», cette forme de colocation si courante en Suisse alémanique. Tranquillement et bourgeoisement alternatifs comme leur quartier.

De son côté, et surtout depuis ce projet - d'abord entrepris en partenariat avec Valérie Jomini et Stanislas Zimmermann, et achevé seul -, Thomas Jomini affirme progressivement ses choix professionnels. Vivement intéressé par le design - il a engagé une collaboration de longue date avec le bureau lausannois Fulguro -, il vérifie dans sa pratique personnelle l'absence de discontinuité entre ce métier et l'architecture. Deux projets de maisons l'occupent, l'une en France, l'autre à Aubonne, dans le canton de Vaud. Et les CFF lui demandent de renouveler la conception des bureaux paysagers de leur division Infrastructure à Berne.

Quant à la villa Faraday, elle a entrepris tranquillement sa traversée du temps. Comme le bois qui vieillit devient gris, doucement le cuivre s'oxydera, la maison verdira et on lui verra alors cette patine si caractéristique des anciens toits de Paris.

Lorette Coen En robe de cuivre, au bord de l'Aar Le Temps 28.07.06 Dossier spécial
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